Flots et jusants marquent le soulèvement et l'abaissement de la masse des océans. En l'absence de sable et lorsque l'amplitude de la marée est suffisante, de vastes bancs de vase émergent en surface. L’estran se dévoile. Vers, mollusques et autres invertébrés se terrent pour échapper à la dessiccation : le banquet est ouvert. Les oiseaux, d'abord concentrés sur une bande étroite, se dispersent à mesure que l'eau se retire. Un balai nerveux, quasi frénétique s'empare de la vasière ; il faut dire que le temps est compté !
Une telle densité d'oiseaux est rendu possible par une spécialisation des espèces pour un compartiment donné de la vasière. Tout est une question d'équipement : spatules, pinces, harpons, échasses, palmes, mais aussi de technique : pêche à vue, en aveugle et tactile, à la traîne ou vol sans courtoisie. Certains convives sont amateurs de poissons, d'autres de vers, de mollusques ou encore de crustacés. Les moins délicats des gourmets, apprécient manger de tout, mais toujours dans la mesure du possible. Parfois, il arrive que comme nous, les oiseaux aient "les yeux plus gros que le ventre" : A l'image de l'ibis rouge ci-contre : heureux d'avoir trouvé une grosse proie (un crabe) il à pris soin de le nettoyer avant de se rendre compte qu'il ne pouvait pas l'avaler !
Parmi les nombreux convives attablés, les limicoles répondent présent et en nombre !
Ils sont de loin les moins visibles mais, les plus représentés. On trouve également des grands échassiers, moins diversifiés mais pas moins majestueux, quelques rapaces de passage dont un perturbateur très redouté, des marginaux hautement spécialisés et plus rarement des canards.
Les limicoles
Limicole vient du latin limus, qui signifie «limon», «boue». En effet, la majorité des oiseaux désignés sous le terme de "limicoles" consomment des invertébrés vivant dans la vase. Les limicoles rassemblent une importante diversité d'espèces qui sont parfois très différentes entre elles.
Tous sont adaptés aux biotopes humides et vaseux et bien que certains aient une prédilection pour l'intérieur des terres, tous ont une affinité pour le milieu aquatique au cours de leur cycle annuel. Beaucoup de ces oiseaux sont migrateurs et ne se reproduisent pas en Guyane. Ici, ils sont représentés par l'Ordre systématique des Charadriiformes et le Sous-ordres des Charadrii dont deux familles sont fréquentes sur les vasières du littoral: les Charadriidés et les Scolopacidés. Chez les limicoles, c'est la longueur du bec et des pattes qui définissent le type de proie. Les oiseaux aux bec court capturent des proies en surface ou dans les parties supérieures de la vase tandis-que les longs becs sondent le substrat en profondeur.
Le bec de ces oiseaux est un formidable outil tactile. Les volatiles sondent inlassablement la vase jusqu'à ce qu'une proie soit détectée (jusqu'à 2cm de distance du bec). A ce moment là, l'oiseau l'englouti sans sortir la tête de la vase avant de reprendre ses prospections.
Au milieux de ce balais, des oiseaux plus grands attire rapidement l'attention. Il s'agit de convives aux membres démesurées.
Les grands échassiers
Les grands échassiers du littoral de Guyane rassemble essentiellement des Ardéidés: l'aigrette neigeuse (Egretta thula), l'aigrette bleue (Egretta caerulea), l'aigrette tricolore (Egretta tricolor), le bihoreau violacé (Nyctanassa violacea) et le bihoreau gris (Nycticorax nycticorax). Ces deux derniers étant nocturnes, sont plus délicat à observer.
Les Ardéidés sont opportunistes en terme de proies. Néanmoins, la proportion des taxons consommées varie en fonction de l'espèce d'oiseau. Tous sont des tueurs qui chassent à vue. Lorsqu'une proie est détectée l'oiseau la poignardent en projetant tous le poids de son corps sur le bec. L'animal transpercé est alors consommé. Le bihoreau violacé (Nyctanassa violacea) est plus raffiné. Il consomme majoritairement des crabes. Ce héron est capable d'attraper des proies plus volumineuses et coriaces que les autres espèces de même taille.
La vasière de Guyane fait également office de banquet pour deux Threskiornithidés haut en couleur: l'ibis rouge (Eudocimus ruber) et la spatule rosée (Platalea ajaja).
L'ibis se nourrit de la même manière que la plupart des limicoles. Son long bec recourbé sonde les profondeurs de la vase. La spatule rosée, quant à elle dodeline la tête dans l'eau peu profonde jusqu'au contact d'une proie.
Les rapaces
De temps à autre, une ombre surgie de la mangrove, elle parcoure la vasière. La buse buson (Buteogallus aequinoctialis), est en quête de crabes. Une fois son décapode en vue, l'oiseau plonge pour s'en saisir. Il se retire et démembre sa proie en retrait de l'agitation ambiante.
Parfois, un balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus) survol le site. Il n'est que de passage et retourne pêcher en mer après une brève pose et plusieurs tentatives infructueuses.
L'oiseau est capable de capturer des poissons de 1,5 kg, son propre poids ! Les écailles à saillies pointues de ses pattes lui permettent de se saisir des espèces les plus glissantes.
Le Balbuzard pêcheur est présent en Guyane de septembre à mars, lors de l'hivernage des individus nord-américains.
Soudain, la panique s'empare de la vasière. Tous les limicoles s'envolent en une masse compacte. Le faucon pèlerin (Falco peregrinus) s'invite au banquet. Les
proies qu'il convoite sont les convives eux mêmes. Le rapace est à la recherche d'un oiseau blessé, âgé ou inexpérimenté. Cependant, la stratégie de groupe des limicoles semble fonctionner : le
faucon ne parvient pas à localisé une proie au sein du vol compact et ordonné. Sa tentative est veine. L'oiseau s'éloigne de la cohue et les convives se remettent au
festin.
Quelques marginaux se tiennent à l'écart.
Les marginaux
En amont de la vasière, la laisse de mer offre quelques spécialités appréciées des Urubu noirs. Ici, c'est une carcasse de
chien, et là-bas un poisson. Les éboueurs du banquet s'occupent du nettoyage selon une hiérarchie stricte: le plus agressif, qui n'est pas nécessairement le fort,
impose sa suprématie et se sert le premier !
En aval de la vasière, à la limite entre trois mondes, celui du domaine terrestre, du domaine marin, et du domaine aérien, de curieux personnages font leur entrée. Il s'agit des bec-en-ciseau noir (Rynchops niger).
Ils ont la bonne idée d'être présent sur nos côtes toute l'année mais ne s'y reproduisent pas. Ces oiseaux au bec étrange pratiquent
une technique de pêche unique dans la monde animale : la pêche à la traîne. La mandibule inférieure, plus longue que la supérieure coupe l'eau d'un long trajets rectilignes et toujours face au vent. Au moindre contact, l'oiseau se fige sur place, baisse la tête pour refermer son bec sur la proie (généralement un poisson de petite taille).
Sur le banc des becs-en-ciseaux, on trouve parfois des sternes dont l'une des plus petite, la bien nommée : petite-sterne (Sternula antillarum).
Durant tout le banquet, des musiciens territoriaux sont en quête d'une partenaire.
Les violonistes assurent le spectacle !
De violonistes, ils n'en n'ont que le nom et l'apparence. Ne vous attendez donc pas à entendre du Maximus sur la vasière.
On trouve deux espèces de crabes violonistes sur le littoral de Guyane : Uca maracoani et Uca rapax.
Bien qu'ils vivent en colonie, les crabes violonistes demeurent isolés les uns des autres et ne s'éloigne guère de leur terrier. Seules les mâles possèdent une pince démesurées. Cette dernière très contrastée leur permet d'être bien visibles. Les décapodes jouent de la pince et des pattes pour attirer les femelles dans leur terrier. La suite, on la connaît tous .
Les crabes violonistes sont microphages : leur régime alimentaire se compose des débris et micro-organismes qu'ils trouvent dans la vase ou dans le sable. Pour se nourrir,
ils portent de la vase aux niveau de leurs pièces buccales (très complexes), la filtre et rejettent une boulette. C'est pour cette raison que les vasières sont souvent jonchées de
boulettes.
En prenant le temps d'observer tous ce monde attentivement, il est possible d'assister à de surprenants comportements, qui ne sont pas sans rappeler ceux de certaines personnes.
Interractions inter-spécifiques
La couresse des vasières (Erythrolamprus cobella) est un serpent appartenant à la famille des Colubridés. Elle peut parfois figurer au menue de l'aigrette neigeuse (Egretta thula) mais cette dernière préfère tirer partie de l’habileté du serpent. La couleuvre se nourrit des petits poissons.
L'oiseau chasse à vue et la détection des proies est difficile dans l'eau chargée de sédiments.
Habituellement, l'aigrette agite le substrat des troues d'eau avec ses doigts pour faire fuir les proies et les diriger vers son champ visuel. Dans les petites collection d'eau,
la tâche est impossible. Ce rôle est alors joué par la couleuvre. En se glissant dans les terriers des crabes et les petites flaques la couresse rend les proies
accessibles pour l'aigrette.
Cette interaction ne présente pas d'avantages apparant pour la couresse qui se voit dérober son repas néanmoins, elle ne se voit pas consommée par l'aigrette. C'est donc un
avantage !
La mouette atricille (Leucophaeus atricilla) ne plonge pas dans l'eau pour se nourrir. Elle doit donc pêcher des poissons en surface. Néanmoins, il lui semble parfois plus facile de les dérober aux autres...
Plus tard, l'eau remonte, la table du banquet se réduit comme peau de chagrin. Les oiseaux procèdent alors à un nettoyage rigoureux de leur plumage: ils se baignent, s'ébroue et lissent leurs plumes. Peu à peu le banquet se vide de ses convives. La vasière est à nouveau submergée. La vie marine se réapproprie l'espace qui lui avait été dérobé quelques heures auparavant. Les derniers retardataires s’envolent jusqu'au prochain rendez-vous, jusqu'au prochain jusant.
Invitation au banquet :
Où ?
-Route des plages
-Dégrad des cannes
-Auberge de jeunesse de Simili (Awala)
D'autres cartes sont en cours de création.
Quand ?
- Favorable: toute l'année ; optimal : de mars à avril et de septembre à octobre (migrations pré-nuptiale et post-nuptiale des limicoles)
- 2 à 3 heures après le début du flot (permet de se poster pour ne pas effrayer les oiseaux).
Comment ?
- Se vêtir de couleurs sombres (vous vous ferez oublier plus vite par les oiseaux).
- Se déplacer le moins possible après avoir trouver un poste d'observation propice (les oiseaux s’approcheront tôt ou tard)
- Se munir d'une paire de jumelles est un minimum, et idéalement d'une longue vue.
- Un guide ornithologique peut être utile, l'identification de certaines espèces est délicate pour un novice.
- Dernières recommandations : prévoir une bouteille d'eau et une casquette (le soleil peu être très dur sur cet habitat). Enfin, évitez de vous aventurer sur la vase sous peine de vous retrouvez coincé!
Qui ?
En bleu, les espèces les plus fréquentes sur les vasières de Cayenne, Remire-Montjoly et Kourou. Les autres espèces sont plus rares et/ou
localisées (Mana, Saint-Laurent, embouchure des grands fleuves).
Limicoles
Pluvier bronzé (Pluvialis dominica)
Pluvier argenté (Pluvialis squatarola)
Pluvier argenté (Pluvialis squatarola)
Pluvier semipalmé (Charadrius semipalmatus)
Pluvier de Wilson (Charadrius wilsonia)
Pluvier kildir (Charadrius vociferus)
Pluvier siffleur (Charadrius melodus)
Pluvier à collier interrompu (Charadrius alexandrinus)
Pluvier de d'Azara (Charadrius collaris)
Bécassin roux (Limnodromus griseus)
Bécassin à long bec (Limnodromus scolopaceus)
Barge hudsonienne (Limosa haemastica)
Courlis corlieu (Numenius phaeopus)
Grand Chevalier (Tringa melanoleuca)
Petit Chevalier (Tringa flavipes)
Chevalier solitaire (Tringa solitaria)
Chevalier semipalmé (Tringa semipalmata)
Chevalier grivelé (Actitis macularius)
Tournepierre à collier (Arenaria interpres)
Bécasseau maubèche (Calidris canutus)
Bécasseau sanderling (Calidris alba)
Bécasseau semipalmé (Calidris pusilla)
Bécasseau d'Alaska (Calidris mauri)
Bécasseau minuscule (Calidris minutilla)
Bécasseau à croupion blanc (Calidris fuscicollis)
Bécasseau de Baird (Calidris bairdii)
Bécasseau à poitrine cendrée (Calidris melanotos)
Bécasseau à échasses (Calidris himantopus)
Bécasseau rousset (Tryngites subruficollis)
Grands échassiers
Aigrette neigeuse (Egretta thula)
Aigrette garzette (Egretta garzetta)
Aigrette bleue (Egretta caerulea)
Aigrette tricolore (Egretta tricolor)
Ibis rouge (Eudocimus ruber)
Spatule rosée (Platalea ajaja)
Rapaces
Urubu noir (Coragyps atratus)
Buse buson (Buteogallus aequinoctialis)
Faucon pèlerin (Falco pegregrinus)
Mouettes-Sternes-Bec-en-ciseaux
Mouette atricille (Leucophaeus atricilla)
Petite Sterne (Sternula antillarum)
Sterne argentée (Sternula superciliaris)Sterne hansel (Gelochelidon nilotica)
Sterne à gros bec (Phaetusa simplex)
Bec-en-ciseaux noir (Rynchops niger)
Hirondelles
Hirondelle tapère (Progne tapera)
Hirondelle à ailes blanches (Tchycineta albiventer)
Hirondelle chalybée (Progne chalybea)
Martins-pêcheurs
Martin-pêcheur à ventre roux (Megaceryle torquata)
Reptiles
Couresse des vasières (Erythrolamprus cobella)
Crabes
Crabe violoniste (Uca maracoani)
Crabe violoniste (Uca rapax)
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